La bibliographie de la ToupieComment les dominants dominent
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Présentation de l'éditeur
Quand il a été décidé de consacrer un dossier de la revue Savoir/agir aux élites, l'objectif n'était pas seulement de contribuer aux descriptions des inégalités croissantes, des pratiques des classes dominantes et de la violence de la domination d'une oligarchie. De nombreux discours contribuent à justifier les inégalités entre catégories sociales et à consolider la légitimité des élites. Qu'elles invoquent le "don" et aujourd'hui "l'excellence" des nantis, le "travail acharné" de ceux qui réussissent, ou encore la "chance" qu'ils ont su saisir, ces sociodicées rendent compte d'un ordre des choses largement intériorisé. Mêlant résignation face à un destin contre lequel on ne pourrait rien et volonté de réussir "à la force du poignet", ces discours multiformes contribuent à rendre acceptable la reproduction de la domination. Les auteurs qui ont contribué à ce dossier se sont focalisés sur ce qui fait les "élites" et comment elles réussissent à être ce qu'elles sont. En se demandant "comment les dominants dominent", ils veulent rendre compte des processus qui rendent la domination possible et qui empêchent sa remise en cause. Comme le rappelle Gérard Mauger, le propre de la domination est son acceptation par ceux-là mêmes qui la subissent. D'une part, parce qu'elle n'apparaît pas nécessairement comme telle et, d'autre part, parce que les mécanismes qui l'engendrent restent souvent cachés. Les différents articles réunis dans le dossier invitent à leur (re)découverte à travers différentes dimensions, qu'elles concernent la sphère économique avec les inégalités de revenus et d'imposition fiscale, les aspects politiques à travers la relation des élites au champ du pouvoir, ou encore des dimensions résidentielles, sociales ou familiales. Surtout, ces articles insistent sur les cumuls de positions et de ressources qui rendent possible non seulement cette domination mais aussi les transformations des modes de dominations. Comme Monique de Saint-Martin le rappelle dans le grand entretien, les transformations socioéconomiques de ces dernières années n'ont pas tellement bouleversé la structure sociale ou les hiérarchies, mais elles ont contribué à faire émerger d'autres formes de domination qui mettent en jeu d'autres ressources. Olivier Godechot et Alexis Spire s'intéressent aux différences économiques et, en particulier, aux différences qui traversent la classe dominante en focalisant leur attention sur les rémunérations des plus riches et sur l'impôt. Olivier Godechot montre que ce sont les revenus des cadres de la finance, bien plus que ceux des PDG ou des stars du sport et de l'audiovisuel, qui ont le plus contribué à l'augmentation des inégalités. Il donne ainsi à voir le poids de ces salariés dans l'économie, ouvrant sur une réflexion sur l'imposition des classes dominantes en fonction des objectifs de rentabilité de l'impôt et de réduction des inégalités sociales. De même, Alexis Spire montre la grande hétérogénéité des plus riches à travers l'ISF, faisant apparaître des différences à l'intérieur d'un univers trop rapidement décrit comme homogène. Antoine Vauchez et Didier Georgakakis étudient des groupes sociaux qui, contrairement à ce que l'on pourrait croire a priori, ne tirent pas leur statut d'élite de leur seule position professionnelle. Si l'avocat d'affaires est un "professionnel de la classe dirigeante", c'est parce qu'il parvient à cumuler des positions à la fois dans le champ politique et dans le champ judiciaire. Ce cumul est aussi un élément de sa position sociale et de son maintien dans cette position. Pour Didier Georgakakis, étudiant ceux qui sont dénoncés comme "les eurocrates de Bruxelles", si cette "insulte" peut être un signe d'une forme de résistance à l'avènement d'un pouvoir européen venant concurrencer des pouvoirs nationaux, elle témoigne aussi de l'émergence d'un groupe aux frontières mal définies dont le pouvoir et la domination ne se comprennent qu'en lien avec d'autres groupes participant de la genèse et de la structuration d'un champ européen. Il souligne ainsi la dimension collective et relationnelle de leur pouvoir. Sylvie Tissot montre, dans son enquête menée à Boston aux États-Unis, comment les classes dominantes savent protéger leurs intérêts, notamment résidentiels, en se mobilisant à la fois pour rester dans un entre-soi qui les caractérise et pour le masquer au nom d'une promotion de "la diversité". Ainsi, à l'inverse des success stories qui insistent sur le mérite des individus, leurs ambitions et leur dextérité à mener leur carrière, et qui alimentent l'idée d'une instabilité des fortunes économiques et sociales et d'une circulation des élites, ces contributions montrent tout ce que ces individus doivent à leur famille, à leurs relations sociales et plus généralement à la mobilisation collective des leurs. La domination telle qu'elle existe se travaille, en famille, en lignée, en réseaux, dans les institutions. La mise en évidence de cet effort continu et collectif des classes dominantes rappelle, en définitive, que leur domination n'est en rien le fruit du hasard et qu'une simple "redistribution des cartes" initiales ne saurait suffire à changer la donne. (*) Le prix est indicatif. Il a été relevé à un instant donné et peut varier dans le temps ou selon les rééditions. A confirmer auprès de votre distributeur habituel. |