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Décroissance


"Travailler moins
pour gagner moins
et vivre mieux"

Dossier spécial de Courrier International du 2 au 9 janvier 2008




Nicolas Sarkozy voudrait que les Français travaillent plus pour gagner plus. Dans d'autres pays, de nombreuses personnes ont choisi l'option inverse de réduire leur temps de travail, de ne plus être des hyper consommateurs, de privilégier l'entraide tout en protégeant l'environnement. Ce sont des adeptes de la simplicité volontaire qui peut prendre diverses formes.

Courrier International (n° 896 du 2 au 9 janvier 2008) propose sur ce sujet un dossier très intéressant dont voici quelques extraits.


Vive la décroissance !

Nicola Shepheard : " The New Zealand Herald" (Auckland)
"Refus de l’hyperconsommation, mode de vie moins polluant… En Australie et en Nouvelle-Zélande, ces idées font école, notamment chez les jeunes.
Les adeptes de la décroissance (down¬shifters ou downsizers) [décélérateurs ou encore ralentisseurs] vivent dans les grandes villes comme dans les petites, mais aussi à la campagne. Ils traversent les générations et les professions, mais la plupart appartiennent aux classes moyennes ou supérieures. Ils parlent de liberté, de redécouverte des plaisirs simples, de bien-être, d’harmonie. Ils savent que moins peut être plus. Peut-être certains sont-ils vos voisins. D’ailleurs, avec la hausse des prix de l’alimentation, le poids de l’énergie dans les budgets et le spectre toujours présent d’un effondrement du marché de l’immobilier, tout le monde pourrait bientôt avoir à s’efforcer de vivre mieux avec moins.
Dans le livre Affluenza [terme désignant le "complexe d’opulence"], Clive Hamilton, directeur de l’Australia Institute, un groupe de réflexion plutôt de gauche, définit ainsi les adeptes de la décroissance : ce sont "des individus qui procèdent à un changement volontaire et à long terme de leur mode de vie, passant par des revenus sensiblement moins élevés et par une baisse de leur consommation", et qui aspirent à mener une vie plus épanouissante, ayant plus de sens. Libérés du joug de la routine capitaliste, ils travaillent moins et dépensent moins, et le font de façon plus constructive. … "


La frugalité, salut de notre âme

Madeleine Bunting : "The Guardian" (Londres)
"Fondé sur la consommation à outrance et sur l’insécurité, notre système économique détruit l’environnement. Et nous éloigne de nos vrais besoins.
En 2006, chaque citoyen britannique a produit 9,6 tonnes de CO2, un chiffre qui devra être ramené à moins de 3 tonnes d’ici à 2050. C’est le minimum non négociable sur lequel s’accordent la plupart des économistes et des spécialistes de l’environnement. Ce qui fait débat est de savoir si cela signifie qu’il faudra consommer moins ou simplement consommer différemment ?"

"La croissance économique est nécessaire pour payer le service de la dette, ainsi que ­l’Etat-providence. Si les gens arrêtaient de consommer, l’économie finirait par s’effondrer. La publicité et le marketing, deux secteurs prépondérants de notre économie, ont pour unique objectif de veiller à ce que nous continuions à consommer et que nos enfants suivent notre exemple. Ce système économique, avec son coût exorbitant pour l’environnement, est pourtant profondément malade. Le graphique du psychologue américain Tim Kasser en est la meilleure illustration. La courbe représentant le revenu par habitant est en constante augmentation sur les quarante dernières années ; tandis que celle illustrant le nombre de personnes se disant "très heureuses" reste stable sur toute la période. L’écart entre les deux courbes ne cesse de s’agrandir.
Le graphique de Kasser est à la fois source ­d’espoir et d’inquiétude. La bonne nouvelle est qu’un faible niveau de consommation n’est pas forcément synonyme de malheur. Mais, d’un autre côté, il est particulièrement inquiétant de voir que nous continuons à consommer alors que cela ne nous rend pas plus heureux."



La simplicité volontaire, mode d’emploi

Anna Lagerblad : "Svenska Dagbladet" (Stockholm)
"En Suède, Jörgen Larsson, chercheur et père de deux enfants, fait partie des gens qui ont embrassé cette conception de la vie. C’est à la fin des années 1990 qu’il entend parler du concept de "downshifting", également appelé "simplicité volontaire". A première vue, sa vie est sans nuages. Il est marié, possède une belle ¬maison et travaille dans une société de conseil qui développe et applique des stratégies environnementales pour les entreprises. "C’était un métier utile et motivant. Mais j’en avais assez, la cadence de travail était trop soutenue, les journées trop longues. Ce n’était pas ainsi que je voulais vivre ma vie. L’idée de troquer de l’argent contre du temps m’a séduit." Il ne s’agit pas de dire adieu au monde du travail, mais plutôt de commencer par faire des semaines de trente heures au lieu de quarante. La perte de revenus est compensée par une vie plus modeste et un mode de consommation revu à la baisse – une autre idée-force du mouvement. Acheter une grande maison avec quelques amis. Faire du covoiturage. Pour fêter un événement, organiser un repas où chacun apporte un plat, au lieu d’aller au restaurant. Telles sont les recommandations des tenants de la simplicité volontaire.
Le fait que le mouvement encourage un mode de vie plus respectueux de l’environnement a également plu à Jörgen Larsson. Celui-ci prend toutefois soin de souligner qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle variante de la vague écologique qui prône le retour à la terre et l’autosuffisance. Au contraire. Les adeptes du ¬mouvement voient toute une série d’avantages à la vie en ville : on ne perd pas son temps dans les transports, on prend moins sa voiture et on s’épargne le chauffage d’une grande maison à la campagne, souvent onéreux et très consommateur d’énergie.
Pour un grand nombre de personnes, l’argumentaire a de quoi séduire : plus de temps et une meilleure conscience."



Polémique en Suède

"Deux semaines avant Noël, le patronat suédois a lancé une campagne de publicité par pages entières dans les grands journaux pour convaincre les Suédois des bienfaits du commerce et répondre à ceux qui critiquent de plus en plus la consommation."
…. "La réaction a été massive dans la presse. Une chronique du quotidien Dagens Nyheter a rappelé sur un ton moqueur les effets négatifs de l’hyperconsommation sur l’environnement et sur les pays en développement. Et un éditorial du quotidien Expressen demandait comment le shopping pourrait nous rendre vraiment heureux, soulignant qu’il est trop tard pour couvrir le Sahara de panneaux solaires et qu’il faut d’urgence économiser et consommer moins."


Travailler le week-end ? Danger !

"La pression monte en Allemagne pour favoriser la flexibilité du travail. Pourtant, nombre de salariés voudraient retrouver leurs dimanches."
Suzanne Gaschke : "Die Zeit" (Hambourg)
"Le système du samedi et du dimanche ouvrés produit une perception décalée du "temps social", que certains sociologues considèrent comme un réel danger, pour l'individu comme pour la collectivité. Seule la culture collective du week-end - par opposition au week-end radicalement individualisé - peut, selon Seifert [spécialiste du WSI, Institue d'économie et de sociologie de la Fondation Hans Böckler], protéger les salariés contre la tendance des employeurs à vouloir qu'ils soient toujours à disposition. Seul le week-end collectif libère du "comportement de continuité permanente" - continuer à faire le ménage, à téléphoner, à vivre dans le stress."


Le repos sabbatique, c’est écolo

Christopher D. Ringwald : "The Christian Science Monitor" (Boston)
"Si les juifs, les musulmans et les chrétiens cessaient toute activité un jour par semaine, ils pollueraient d’autant moins.
A l’heure actuelle, les dirigeants religieux se convertissent à l’écologie, mais ils ont négligé l’un des enseignements judéo-chrétiens qui permettrait pourtant de réduire la consommation d’énergie et la pollution de 14,2857 %. Ce chiffre correspond à un septième – comme le sabbat, ce jour de la semaine où toute activité s’arrête. Cette journée de repos – longtemps considérée comme un don de Dieu – est censée offrir un répit joyeux et libérateur dans le travail ou la consommation, deux activités bassement matérielles qui, l’une comme l’autre, puisent dans les ressources de la planète."



A lire en français

"Parmi les différents "pères" de la décroissance en France, on peut citer, entre autres, le sociologue et philosophe Jean Baudrillard, décédé en 2007 (La Société de consommation, 1970), le philosophe et écrivain André Gorz, pionnier de l’écologie politique et également décédé en 2007 (Ecologie et politique, 1975), ou encore l’économiste Serge Latouche (Le Pari de la décroissance, 2006)."
Actualité de la décroissance : La Décroissance, "mensuel des objecteurs de croissance", Les Casseurs de pub.



Une année sans achats

Jenny Uechi : "Adbusters" (Vancouver)
"Le mouvement Compact, qui compte 8 000 membres de par le monde, se propose de freiner la course à la surabondance."
"2005. Un groupe d’amis vivant dans la baie de San Francisco se réunit autour d’un dîner à la fortune du pot. Lassés de la course sans fin à la consommation, ils veulent pousser à l’extrême le concept de "buy nothing day" [journée sans achat] en passant une année entière sans rien acheter. S’inspirant du pacte signé par les colons du Mayflower à Plymouth Rock [en 1620], ils nomment leur groupe The Compact et s’engagent à limiter leurs courses aux denrées alimentaires, aux médicaments et aux produits d’hygiène de base, en achetant d’occasion lorsque c’est possible [ils recourent également au don et à l’échange].
Aujourd’hui, avec 8 000 membres et 55 branches dans le monde (dont l’Islande ou Singapour), Compact se retrouve à la pointe d’un mouvement de contestation de la culture de la consommation [la liste des blogs se trouve sur http://sfcompact.blogspot.com]."



Quand ma ville se passera du pétrole

Jane Power : "The Irish Times" (Dublin)
"Demandez aux gens ce qu’ils feront quand le pétrole se fera rare et cher : ils détournent les yeux – ou vous fixent comme si vous étiez cinglé – ou bien sont persuadés que le gouvernement trouvera la solution.
D’autres personnes n’ont pas attendu et savent déjà ce qu’elles comptent faire – pas seulement en cas de pic pétrolier, mais aussi face aux défis posés par le changement climatique. Kinsale, une ville [de 7 000 habitants] à l’ouest de Cork, en Irlande, a mis au point il y a quelques années un projet largement salué. Ce Plan d’action pour la descente énergétique, formulé par les étudiants en permaculture* de l’Ecole d’enseignement professionnel de Kinsale et par Rob Hopkins, leur professeur, est devenu un modèle pour les communautés cherchant à se protéger des effets du changement climatique."

"* La culture de la permanence regroupe des principes et des pratiques visant à créer une production agricole soutenable, économe en énergie et respectueuse des êtres vivants."

L’anticonsommation a son prophète

Robin Shulman : "The Washington Post" (Washington)
"Déguisé en pasteur, l’acteur américain Bill Talen exhorte ses concitoyens à résister à la frénésie des achats. Avec un succès limité."
"Le révérend Billy, alias Bill Talen, n’est pas un ministre du culte, ni même un chrétien pratiquant, mais un acteur. Il n’empêche, c’est un vrai croyant, qui espère prévenir l’"Achapocalypse" et sauver notre âme, notre portefeuille, notre société et la planète. En tant que comédien et militant, il prêche contre la frénésie de consommation depuis 1997, quand il a commencé à porter la bonne parole devant le magasin Disney de Manhattan. Avec ses ouailles, il a exorcisé des caisses enregistreuses et conduit diverses interventions dans les magasins. Il a été arrêté des dizaines de fois."


Seule une bonne récession nous sauverait

George Monbiot : "The Guardian" (Londres)
"Une récession dans les pays riches représenterait sans doute le seul espoir de gagner du temps afin d’empêcher le changement climatique de devenir incontrôlable.
L’énorme amélioration du bien-être des humains dans tous les domaines – logement, nutrition, hygiène, médecine – depuis deux cents ans a été rendue possible par la croissance économique, ainsi que par l’éducation, la consommation, l’innovation et le pouvoir politique qu’elle a permis. Mais jusqu’où doit-elle aller ? Autrement dit, à quel moment les gouvernements décident-ils que les coûts marginaux de la croissance dépassent les bénéfices marginaux ? La plupart n’ont pas de réponse à cette question. La croissance doit se poursuivre, pour le meilleur et pour le pire. Il me semble que, dans les pays riches, nous avons d’ores et déjà atteint le point où il faut logiquement s’arrêter." …
"Les gouvernements adorent la croissance parce qu’elle les dispense de s’attaquer aux inégalités. Comme Henry Wallich, un ancien gouverneur de la Réserve fédérale américaine [de 1974 à 1986], l’a un jour fait remarquer en défendant le modèle économique actuel, "la croissance est un substitut à l’égalité des revenus. Tant qu’il y a de la croissance, il y a de l’espoir, et cela rend tolérables les grands écarts de revenus." La croissance est un sédatif politique qui étouffe la contestation, permet aux gouvernements d’éviter l’affrontement avec les riches, empêche de bâtir une économie juste et durable."




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