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L'obsolescence programmée


à l'opposé du développement durable




Pourquoi vendre des bas qui ne filent pas et qu'on n'achète qu'une seule fois si l'on peut en fabriquer des plus fragiles, qui sont renouvelés régulièrement et font ainsi encaisser des bénéfices.

Autrefois, un réfrigérateur avait une durée de vie de 15 ou 20 ans, voire plus. Il en était de même pour le cartable en cuir, le congélateur, etc. Lorsque le poste de télévision tombait en panne, on appelait un réparateur qui venait changer une lampe ou un condensateur. Aujourd'hui, quand on achète un réfrigérateur, le vendeur se croit obligé de nous signaler qu'il ne faut pas trop compter le voir fonctionner plus de 5 ou 6 ans, à cause des nouveaux fluides réfrigérants, bla, bla, bla.

Les techniques et méthodes utilisées pour réduire artificiellement la durée de vie d'un équipement, pour obliger son propriétaire à en acheter un nouveau, constituent, ce que l'on appelle l'obsolescence programmée ou la désuétude planifiée. Caractéristique de notre société de surconsommation, l'obsolescence programmée bénéficie avant tout aux producteurs qui tentent ainsi de s'assurer un volume récurrent de vente. Le consommateur, à moins qu'il ne soit un technophile, friand de posséder les derniers gadgets issus du progrès technique, voit son pouvoir d'achat réduit.

Outre la baisse du pouvoir d'achat, l'une des conséquences de l'obsolescence programmée est son impact écologique avec l'augmentation du volume des déchets mis au rebut, en contradiction totale avec le développement durable. Les pays où la consommation est importante se débarrassent volontiers de leurs déchets en les transportant vers les pays, en général les plus pauvres, où les coûts de stockage et de traitement sont peu élevés. Quant aux matériels informatiques, les circuits de recyclage actuels ne récupèrent pas les métaux rares qu'ils peuvent contenir.

Dans les années 1950, le designer industriel américain Brooks Stevens (1911-1995), souvent présenté comme l'initiateur du concept d'obsolescence programmée, considère qu'il faut "inculquer à l'acheteur le désir de posséder quelque chose d'un peu plus récent, un peu meilleur et un peu plus tôt que ce qui est nécessaire".

La mise en place d'une stratégie industrielle d'obsolescence programmée par une entreprise présuppose que celle-ci soit certaine que le produit de remplacement sera acheté chez elle. Pour cela deux conditions semblent nécessaires :
  • qu'elle soit dans une situation dominante, de monopole, d'oligopole ou de cartel,
  • que la durée de vie prévue demeure secrète, pour que l'acheteur n'ait pas le sentiment d'avoir été trompé et ne s'adresse à la concurrence.

Quelques exemples de techniques et méthodes pour rendre un produit obsolète :

  • Faire en sorte que le coût de réparation, augmenté de la valeur résiduelle du produit soit supérieur au prix d'un produit neuf.
    Exemples : en concevant des produits difficiles à réparer, des produits non démontables, des produits avec des pièces scellées, etc.

  • Afficher une date de péremption ou une date limite d'utilisation optimale (aliments, boisson, produits cosmétiques, médicaments, etc.) au-delà de laquelle le produit est néanmoins utilisable sans risque pour la santé, contrairement à la date limite de consommation dont le dépassement induit un risque réel pour le consommateur. Les consommateurs ignorent souvent cette différence.
    En ce qui concerne les éditeurs de logiciels informatiques, la méthode consiste à annoncer une date limite pour le support technique, obligeant ainsi les utilisateurs à acquérir la nouvelle version du logiciel dont il n'a pas nécessairement besoin. Si cette nouvelle version n'est pas compatible avec le matériel de l'utilisateur, celui-ci devient à son tour obsolète, par effet ricochet.

  • Rendre un produit obsolète, en retirant de la vente des produits complémentaires ou en arrêtant de fabriquer des pièces détachées alors que le produit principal est parfaitement fonctionnel. Cette forme d'obsolescence programmée, dite obsolescence indirecte, est l'une des plus pratiquées.
    Ex : batteries ou chargeurs de téléphones portables, cartouches d'imprimantes.

  • Faire en sorte que le produit vendu signale lui-même à l'utilisateur qu'il est nécessaire de réparer, changer ou remplacer tout ou partie de l'appareil. C'est l'obsolescence par notification ou auto-péremption.
    Ex : imprimantes indiquant que les cartouches d'encre doivent être remplacées.

  • Provoquer des effets de mode par des campagnes publicitaires ou des actions marketing, visant à discréditer des produits plus anciens (obsolescence esthétique ou subjective).
    Ex : modes vestimentaires et critères d'élégance, changements de modèles automobiles.

  • Accord tacite entre les producteurs de matériel informatique et les éditeurs de logiciels dont des mécanismes mis en place bloquent l'installation sur des ordinateurs anciens de plus faible puissance, qui deviennent obsolètes bien qu'étant en parfait état de fonctionnement. Les constructeurs de matériel informatique, quant à eux, préinstallent les dernières versions de logiciel des éditeurs, ce qui accélère l'obsolescence des versions précédentes.




Les pouvoirs publics, s'ils en ont la volonté, c'est-à-dire si la pression des consommateurs est suffisante, disposent de plusieurs pistes d'actions pour lutter contre l'obsolescence programmée :
  • obtenir une meilleure information sur la qualité et la longévité des produits, sur leur SAV, sur la disponibilité des pièces détachées, pour en faire un avantage compétitif au niveau national ou européen et redonner confiance aux consommateurs.

  • relancer une activité de réparation, source d'emplois de proximité, qui soit indépendante des fabricants et des distributeurs.

  • obliger les constructeurs à :
    • allonger la durée de garantie et renforcer celle-ci,
    • mettre sur le marché des produits réparables,
    • fournir des pièces détachées pendant une durée suffisante (ex : au moins cinq ou dix ans après l'arrêt de la fabrication).

  • dissocier la vente des smartphones de celle de l'abonnement à un opérateur de téléphonie mobile.

  • interdire et condamner lourdement les cas flagrants d'introduction délibérée d'un dispositif visant à réduire la durée de vie d'un produit.

Cependant, les consommateurs n'ont-il pas une part de responsabilité dans le raccourcissement de la durée de vie des appareils ? En effet, la complexité des interactions entre les différents acteurs d'une économie de marché rend peu probable l'existence d'un complot généralisé de la part de fabricants et des distributeurs, même si des ententes peuvent être avérées ici ou là.

Au final, c'est le consommateur qui, en dernier ressort, prend la décision d'achat. La durée de vie n'est qu'un critère de sélection parmi de nombreux autres avec lesquels elle peut entrer en contradiction :
  • prix de vente que l'on souhaite toujours plus bas,
  • caractéristiques techniques,
  • nouveautés technologiques,
  • marque bien définie,
  • publicité avec les envies qu'elle suscite,
  • recommandations d'amis ou du groupe auquel on souhaite appartenir,
  • etc.

S'il est soucieux des intérêts écologiques de la planète (exploitation des ressources naturelles et volume des déchets) et de son pouvoir d'achat, le consommateur doit donc être très vigilant lors de ses achats, s'interroger sur ses habitudes de consommation et donner une plus grande priorité aux critères de durée de vie (délais de garantie, pièces détachées, possibilités de réparation) dans ses décisions d'achat.


Pierre Tourev, 01/02/2013



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