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Faire peur pour gouverner


Manipulation de l'opinion publique




La politique de la peur consiste, pour un gouvernement, à provoquer la peur au sein de sa population pour faciliter l'adoption de lois sécuritaires. En réduisant ainsi la liberté individuelle, il espère pouvoir assurer son maintien. Les citoyens, quant à eux, en échange d'une hypothétique sécurité sont conditionnés pour renoncer progressivement à leurs libertés.

Le journaliste et critique américain, Henry Louis Mencken (1880-1956) constate, dès le début du XXe siècle, cette tendance : "le but de la politique est de garder la population inquiète et donc en demande d'être mise en sécurité, en la menaçant d'une série ininterrompue de monstres, tous étant imaginaires".

Selon Dan Gardner [1], l'efficacité des politiques de la peur serait due au fait que l'évaluation des risques et les façons de s'en protéger ne résultent pas d'une attitude rationnelle, mais d'un comportement émotionnel entretenu par les hommes politiques. C'est un corollaire de l'explication donnée par Edward Bernays [2] pour qui la mentalité collective est guidée par l'impulsion, l'habitude ou l'émotion et non par la pensée.

Irene Khan, secrétaire générale d'Amnesty International, a souligné ce phénomène à l'occasion de la sortie de son rapport 2007 : "En adoptant des politiques à court terme qui encouragent les peurs et créent la division, certains gouvernements sapent l'Etat de droit et les droits humains, entretiennent le racisme et la xénophobie, divisent les populations, augmentent les inégalités et sèment les germes de nouvelles violences et de futurs conflits".

Si l'on a pu considérer la "politique de la peur" comme l'une des caractéristique des dictatures, l'emploi de cette expression dans une démocratie sous-entend que les hommes politiques instrumentalisent des craintes avérées ou non de la population pour atteindre leurs objectifs. Il s'agit-là d'une forme de manipulation de l'opinion, de manière indirecte ou subliminale, qui réveille les pulsions les plus abjectes de la xénophobie et du racisme. Les discours alarmistes et anxiogènes ainsi que la désignation d'ennemis intérieurs servent alors à légitimer des mesures disproportionnées qui portent atteinte aux droits fondamentaux, dans le but de mieux contrôler la population.

La classe politique, impuissante devant l'oligarchie financière qui dirige l'économie mondiale, a besoin pour rester au pouvoir d'agiter le chiffon rouge de la peur pour détourner l'attention du peuple. Concentrée sur des "guerres perpétuelles", méfiante et divisée, l'opinion publique mondiale n'est plus tentée par la remise en cause du système politiquo-économique en place.

Quelques exemples d'instrumentalisation de la peur :
    Peur Décryptage
    Le "péril jaune" (fin du XIXe, début du XXe siècle) Garder les colonies occidentales en Asie.
    La "Guerre froide" Politique d'armement au profit de grands groupes industriels, renforcement de la politique hégémonique des Etats-Unis.
    Le terrorisme islamique après les attentats du 11 septembre 2001 Légitimer la guerre en Afghanistan, mesures sécuritaires, maintien de l'hégémonie de l'Occident, soutien aux dictatures des pays arabes.
    Les armes de destruction massive de Saddam Hussein Guerre contre l'Irak, politique d'armement au profit de grands groupes industriels.
    Le virus H1N1 Au profit des laboratoires pharmaceutiques.
    Les "marées d'immigrés" déferlant sur la France, la montée de l'islam Politique sécuritaire.
    Prendre des voix au Front national, séduire les retraités.
    Agressions sexuelles par des récidivistes Politique sécuritaire.
    Lutte contre un prétendu laxisme des juges.
    Le risque de dégradation du AAA Faire admettre des mesures d'austérité pour les plus démunis et les classes moyennes.


1 - Dan Gardner : "Risque : La science et les politiques de la peur", Editions Logiques, 2009
2 - Edward Bernays "Propaganda (1928), traduit en français sous le titre Propaganda, Comment manipuler l'opinion en démocratie, Zones, 2007.



Pierre Tourev, 11/12/2011



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