La Toupie  >  Textes  >  Réforme du régime des retraites :

Réforme du régime des retraites :


Avant toute chose, partager le travail




L'équation devant laquelle nous placent le gouvernement, le patronat et une partie de la gauche, dite modérée, peut apparaître imparable :
    "Avec l'allongement de l'espérance de vie, pour pouvoir financer les retraites, il faut retarder l'âge légal de départ à la retraite, cotiser plus longtemps et donc travailler plus longtemps."
On peut être d'accord sur le constat que le financement des retraites va devenir problématique. Mais on peut s'interroger sur la cohérence qu'il y a à vouloir travailler plus longtemps.


D'abord n'y -t-il pas d'autres solutions ?

Quand on voit la facilité avec laquelle les Etats ont injecté des dizaines de milliards d'euros dans les banques et plus largement dans le système capitaliste pour l'empêcher de sombrer, on peut aisément penser que oui. Creuser les déficits et générer des dettes publiques abyssales n'a pas posé de problèmes métaphysiques à nos gouvernements.

Il existe d'autres modes de financements possibles des retraites, s'appuyant sur une meilleure répartition des richesses :
  • Mettre en place une cotisation sur les revenus financiers des entreprises et des banques avec un taux identique à celui des cotisations sur les salaires,

  • Augmenter les cotisations patronales sur les salaires précaires comme les CDD.

  • Supprimer le boulier fiscal et les niches fiscales qui ne génèrent pas d'emplois,

  • Elargir l'assiette des cotisations à celle de la CSG, c'est-à-dire en mettant à contribution les bonus, les stocks-options, la participation et l'intéressement,

  • Soumettre les dividendes des actionnaires et tous les revenus financiers à cotisation,

  • Plafonner les transmissions d'héritage,

  • Et, pourquoi pas, remettre en cause le droit à la propriété pour les fortunes trop rapidement acquises et spolier ainsi les profiteurs, les spéculateurs et les exploiteurs ? On peut tourner le problème dans tous les sens, mais posséder à 40 ans, 100 fois le patrimoine moyen, n'a pas pu se faire avec son seul mérite, mais par le hasard de la naissance (héritage), par le hasard du jeu (loto) ou par le vol. J'appelle vol, un enrichissement exorbitant au détriment de travailleurs exploités, de clients payant un produit à un prix sans relation avec les coûts de production, de concurrents étouffés par une disproportion de moyens financiers, d'épargnants abusés…. Mais il est vrai que la remise en cause, même très partielle, du droit à la propriété est un sujet encore tabou. Pour combien de temps ?

L'allongement du temps de cotisation est-il réaliste ?

Quand on voit la montrée du travail précaire ainsi que la difficulté des jeunes à trouver un emploi stable avant 30 ans et des seniors à conserver le leur après 55 ans, il est facile de deviner ce qui se cache réellement derrière tout décalage de l'âge légal de la retraite : une baisse du niveau des pensions pour le plus grand nombre.

L'éclatement de la bulle financière et immobilière a montré que la croissance et le prétendu "plein emploi" dans les pays où régnait l'ultralibéralisme (Etats-Unis, Angleterre, Espagne, Irlande…) n'étaient qu'un leurre entretenu par l'endettement des ménages qui a crû fortement ces dernières années. Et comme les arbres ne grimpent pas jusqu'au ciel… la crise était inéluctable.

Il me paraît illusoire de dire que l'on pourra travailler tous, plus longtemps. Les gains de productivité dans notre société sont tels que la quantité de travail nécessaire pour vivre est en décroissance. On aura beau inventer tous les gadgets ou innovations que l'on peut imaginer pour "augmenter le niveau de vie", l'utilisation de ces objets réels, temporels ou virtuels se trouvera forcement limitée par une donnée physique incontournable : les journées n'ont que 24 heures.

D'ailleurs le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) montre que l'allongement de la durée de cotisation ne génère pas les effets escomptés : "Alors que la durée d’assurance passait de 37,5 à 40 ans et plus, l’âge moyen de cessation d’activité n’a progressé que de deux mois."

L'inégalité dans la répartition du travail et des revenus conduit à ce paradoxe :
- d'un côté une population précarisée qui ne parvient pas à se loger décemment ni à manger correctement,
- et de l'autre des salariés et surtout des cadres stressés et surchargés de travail qui n'ont pas le temps d'utiliser tous les "bienfaits" que leur propose la société de consommation et qui, de ce fait, accumulent une épargne importante.

Le travail va devenir de plus en plus rare. Il va falloir apprendre à le partager, sans quoi les inégalités vont continuer de se creuser entre ceux qui vont devoir attendre l'âge de 65 voire 70 ans pour avoir droit à une pension à peine décente et ceux qui disposeront de revenus largement au-dessus de leurs besoins pour avoir eu la chance de tenir un emploi bien rémunéré.

Je propose donc, outre les sources de financement évoquées plus haut, de prendre des mesures radicales pour inciter à sortir du salariat tous ceux qui ont les moyens de vivre sans travailler. On pourrait augmenter l'impôt sur les revenus du travail en fonction de l'histoire du contribuable. Plus il a cumulé des revenus du travail dans sa vie, plus fort serait son taux d'imposition pour les salaires perçus chaque nouvelle année. Il serait ainsi encouragé à arrêter de travailler. Ce taux d'imposition dissuasif sur les revenus du travail pourrait être également lié au niveau de la fortune.
Le savoir faire de ces personnes pourrait être utilement orienté vers la création d'entreprises avec des avantages fiscaux liés au nombre d'emplois générés.

Tout cela aurait aussi l'avantage de mettre un frein à l'accumulation du capital qui a facilement tendance à devenir un but en soi. En outre, un maintien ou une augmentation du niveau des retraites par une fiscalité appropriée est une garantie que les moyens qui y sont affectés génèrent bien une amélioration du niveau de vie pour le plus grand nombre et l'assurance que ces ressources seront consommées et donc bien réinjectées dans l'économie.


Pierre Tourev, 20/02/2010



Accueil     Textes     Haut de page