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Pour une légitimité démocratique

En finir avec le mode de scrutin majoritaire



Le scrutin majoritaire tel qu'on le connaît en France pour les élections législatives est présenté comme la panacée par les grands partis politiques, dit de gouvernement. Une majorité "stable" est ainsi obtenue avec des partis dont le score au premier tour des élections est très loin de représenter la majorité des citoyens.

Ainsi aux dernières élections, celles de juin 2017, le parti de la majorité présidentielle (LREM) et son allié le Modem ont atteint 32,3% au premier tour des suffrages exprimés. Certes ce sont les suffrages exprimés qui comptent pour le résultat final et la légitimité légale, mais la légitimité démocratique se mesure par rapport à l'ensemble des citoyens. Si, dans un premier temps, on ne considère que des citoyens inscrits, on peut donc dire que ceux qui nous gouvernent actuellement ont eu le soutien, au premier tour de seulement 16% des inscrits, compte tenu d'un taux d'abstention record d'un peu plus de 50%.
Le même calcul fait pour toutes les élections législatives depuis 1981 montre que la majorité législative n'obtient jamais plus de 27% des inscrits au premier tour des élections (1981 : 25%, 1986: proportionnelle, 1988 : 22%, 1993 : 15%, 1997 : 15%, 2002 : 27%, 2007 : 27%, 2012 : 22%).
En outre, il faut tenir compte du fait que tous les citoyens ne sont pas inscrits sur les listes électorales. En 2017, ils ne représentaient que 88,6% des personnes majeures résidant en France et de nationalité française (Source : http://www.vie-publique.fr/focus/elections-2017-combien-electeurs-inscrits.html). La majorité actuelle n'a donc reçu, au premier tour, que le soutien de 14,2% de la population de majeurs résidant en France et de nationalité française.

Et le second tour, direz-vous ?
Au premier tour, au mieux, on choisit ou bien on vote pour le candidat le plus proche de ses idées, sachant qu'on n'adhère pas nécessairement à l'ensemble du programme électoral qu'il défend. Au second tour, si ce candidat a été éliminé, on s'abstient ou l'on vote par défaut ou par tactique, pour écarter un candidat que l'on ne veut absolument pas voir gagner. Le second tour ne donne qu'une légitimité formelle ou légale à la majorité issue de l'Assemblée nationale. Mais cette légitimité n'a, pour moi, rien de démocratique.
Ce constat est aussi valable pour l'élection du président de la République. En 2017, Emmanuel Macron a obtenu au premier tour 24,01% des suffrages exprimés, soit 18,1% des inscrits et seulement 16% de la population de majeurs résidant en France et de nationalité française. Des chiffres qui doivent inciter à davantage de modestie ! Il faudrait aussi tenir compte de tous ceux qui, à gauche, ont voté pour lui au premier tour uniquement pour éviter un duel Droite / Extrême droite au second tour sans adhérer à son programme.
Les Français ont toutes les raisons de ne pas se sentir correctement représentés. Il n'est donc pas étonnant que, depuis des décennies, leur opinion sur la politique conduite par les gouvernants se dégrade. Du fait des alternances successives une défiance envers l'ensemble de la classe politique s'est peu à peu installée. Notre système électoral ne favorise pas la légitimité démocratique des représentants de la nation. Le scrutin majoritaire à deux tours pour les élections législatives donne le pouvoir à un parti, certes arrivé en tête lors des élections, mais qui est très loin de représenter l'ensemble de la population (au maximum 27% des inscrits, soit moins d'un quart des citoyens (les majeurs résidant en France et de nationalité française). Les autres partis, minoritaires, sont sous-représentés de manière indécente.

Pour remédier à cette situation, je ne vois que l'instauration d'un scrutin de listes à la proportionnelle intégrale pour les députés (avec un seuil minimal de voix pour pourvoir disposer de représentants : 3 ou 5% par exemple afin d'éviter une multiplication inutile des candidatures). Je considère qu'un député doit être un représentant de la nation toute entière et non défendre les intérêts de sa circonscription. Il y a des collectivités territoriales pour cela. Si aucun parti ne dispose de la majorité à l'Assemblée nationale, la mise en place d'une coalition sera nécessaire. Nos députés devront pour cela acquérir l'art du compromis afin de définir un programme de gouvernement et désigner un Premier ministre avec le soutien d'une majorité d'entre eux. Ainsi une majorité équivalente de citoyens pourraient se reconnaître dans l'Assemblée nationale et dans le pouvoir exécutif qui auraient retrouvé une légitimité démocratique. Ce sera aussi le moyen de faire revenir aux urnes ceux qui, écoeurés, se sont détournés de la politique.

Quant au président de la République, il ne pourra plus jouer au monarque face à l'Assemblée nationale qui aura davantage de légitimité que lui, ni imposer son programme électoral au gouvernement. Au mieux, il pourrait présider les discussions entre les partis présents à l'Assemblée nationale en vue de former une coalition de gouvernement. Son élection au suffrage universel perdant de son intérêt, il sera alors temps d'envisager une refonte de la Constitution pour revoir son mode de désignation et ses attributions et de passer à la VIème République.


Pierre Tourev, 30/10/2017



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