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Publicités et écrans envahissants


Temps de cerveau à accaparer




Avez-vous remarqué combien la publicité sur Internet a évolué dans sa forme depuis quelques temps. Pour se différentier les unes des autres, les images, autrefois fixes, clignotent, bougent, tressautent, s'animent pour attirer coûte que coûte notre attention vagabonde. Des fenêtres s'ouvrent intempestivement, des cadres en surbrillance estompent la page que l'on voudrait voir (à nous de trouver le bouton qui permet de passer outre) et des boutons, que l'on croit être ceux de fermeture, ouvrent un autre onglet.

Ailleurs, pour accéder à un article, il nous faut visionner une publicité pendant quelques secondes. On peut parfois choisir entre deux ou trois marques, mais pour cela il faut regarder leur logo, lire leur nom, en choisir une. En ce qui me concerne, je clique directement sur celle de gauche et en profite pour faire une pose visuelle.

Pour que les messages publicitaires soient encore plus efficaces et ciblent davantage leurs clients potentiels les internautes sont traqués dans leurs moindres déplacements sur le web et chaque fois qu'ils manifestent un intérêt pour quelque chose. Facebook, avec ses centaines de millions d'utilisateurs, aimerait bien tirer profit de cette "mine d'or" qui ne demande qu'à être exploitée et ainsi faire remonter le cours de son action.

Il n'y a pas que sur Internet où l'on rivalise d'ingéniosité pour capter l'attention des cerveaux humains. La télévision, dont la pub et les jeux ont remplacé "le pain et le cirque" de l'époque romaine, a été pionnière en la matière, mais elle apparaît de nos jours un peu dépassée. L'écran, qui autrefois était familial, devient individuel avec les ordinateurs personnels, les smartphones et autres tablettes tactiles. Mais cela ne suffit pas, les écrans envahissent peu à peu tous les autres espaces où notre regard pourrait malencontreusement se poser : proximité des feux tricolores, halls d'aéroport, gares, stations-service, etc. Tout cerveau "disponible" doit être occupé ! Les écrans vidéo se multiplient aussi dans les supermarchés pour nous vanter le produit phare du moment, comme si dans ces temples de la consommation, nos yeux n'étaient pas suffisamment sollicités par les têtes de gondoles et les rayons judicieusement aménagés.

Les panneaux publicitaires classiques sont devenus ringards. Désormais, ils bougent, ils clignotent, ils s'animent. Bientôt, quand nous passerons devant, ils nous reconnaîtront et afficheront une publicité ciblée : "Pierre, les glaces que tu aimes sont en promotion dans le supermarché situé au coin de ta rue." Le "Big brother" prophétisé par Orwell dans "1984", ne serait pas uniquement politique, mais économico-politique.

Ce gavage publicitaire ne réduit-t-il pas l'être humain à trois fonctions : travailler, absorber la publicité et consommer ? Vivre se réduit-il à cela ?

Si l'homme continue de subir passivement toutes les sollicitations auxquelles son cerveau est soumis, bientôt il ne lui restera plus de temps pour penser, discuter ou agir. Sa conscience est progressivement accaparée par des images animées, c'est-à-dire par des objets temporels, objets qui n'existent que parce que nous les regardons (cf. l'article "Les objets temporels - Abandon de conscience"). En fait, s'ils sont subis ou artificiellement désirés (il est facile de succomber à la tentation de la passivité), ces objets nous volent des portions de notre vie. Aussi intéressantes que puissent être les animations proposées par les écrans, pendant que nous les regardons nous ne sommes plus maîtres de nos pensées puisque notre cerveau doit se concentrer sur les pixels qui défilent devant nos yeux et en déchiffrer le message.

Résister à l'occupation non désirée de notre cerveau et au vol d'une partie de notre vie consciente pourrait bien être le grand combat pour la liberté du XXIe siècle.


Pierre Tourev, 24/06/2012




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