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"Réinfosphère"

Comment la fachosphère distille son poison



La "réinfosphère" est "l'ensemble des sites Internet de la mouvance d'extrême droite ou conspirationnistes qui pratiquent la réinformation".
(Toupictionnaire)


"Ils se défendent souvent d'être d'"extrême droite", puisqu'ils transcenderaient tous les clivages. Qui sont-ils ? Ce sont les sites, nombreux et interconnectés, qui défendent une version nationaliste de la souveraineté nationale, une version xénophobe d'une prétendue identité française, un libéralisme économique national opposé au libéralisme économique transnational, une critique de la globalisation capitaliste qui, sous le terme de mondialisme, esquive le qualificatif."
Henri Maler - Acrimed : L'extrême droite à l'assaut des médias et de la critique des médias, 18 octobre 2012


Sous le prétexte de combattre une prétendue désinformation généralisée de la part des médias officiels ou traditionnels (TV, radio, presse écrite, Internet), un certain nombre de sites Internet de la fachosphère, s'appuyant aussi sur les réseaux sociaux, se sont érigés en chevaliers blancs du journalisme en proposant une information alternative qualifiée de réinformation et en se positionnant comme un contre-pouvoir.

Ces sites profitent du développement d'Internet comme support extrêmement riche en informations pour obtenir une forte audience et se déguiser en médias professionnels. Ils ressemblent à des sites d'information, dans la présentation, dans les rubriques proposées, dans le ton, dans la réactivité, mais ce sont des outils de propagande très efficaces pour aiguiller leurs visiteurs vers les mêmes thèmes récurrents en leur donnant une vision erronée du monde.

Leur mode d'action est relativement simple :
  • sélectionner dans la multitude de dépêches de l'AFP ou d'autres médias, celles qui correspondent aux thèmes qui les obsèdent et mettre en exergue les éléments qui sont censés conforter leurs points de vue :
    • l'immigration,
    • l'islamisation de la société,
    • l'atteinte aux valeurs chrétiennes traditionnelles,
    • l'insécurité,
    • l'Union européenne et l'euro, sources de tous les maux,
    • les complots (USA, Union européenne, sociétés secrètes, organisations transnationales...),
    • etc.

  • laisser les internautes commenter ces ré-informations qui dévoileraient une menace pour l'identité nationale.

  • former avec les autres sites de réinformation un système de médias alternatifs où l'on se reprend les uns les autres les informations dans le but de leur donner une apparence de vérité et de créer un effet de masse. ("Si je le vois "partout", c'est que ce doit être vrai et important").

Voici quelques exemples (liste non exhaustive) de sites de réinformation, classés dans l'ordre de trafic décroissant (selon alexa.com au 28/01/2017) :
  • egaliteetreconciliation.fr
  • fdesouche.com
  • bvoltaire.fr
  • ripostelaique.com
  • wikistrike.com
  • medias-presse.info
  • tvlibertes.com
  • radiocourtoisie.fr
  • reinformation.tv
  • polemia.com
  • fr.novopress.info
  • minute-hebdo.fr
  • reinfosphere.fr

Approche par les biais cognitifs

Si l'on utilise la grille d'analyse des biais cognitifs, il est possible d'imputer le succès des sites de réinformation et leur contribution à la propagation des idées d'extrême droite à la convergence de plusieurs de ces biais. Ces biais de la pensée, véritables catalyseurs des actions de propagande de toutes natures, sont exploités sans scrupule par la "réinfosphère" pour diffuser son poison.

En voici quelques-uns, et ce ne sont pas les seuls :
Biais de confirmation d'hypothèse
Tendance naturelle qu'ont les êtres humains à privilégier les informations qui confortent leurs préjugés, leurs idées reçues, leurs convictions, leurs hypothèses.
Ici : la sélection des informations selon des critères qui confortent les idées que les sites cherchent à promouvoir.

Biais de représentativité
Tendance à fonder son jugement ou à prendre une décision à partir d'un nombre limité d'éléments que l'on considère comme représentatifs d'une population beaucoup large.
Ici : la présentation des situations ou des faits divers qui sont mis en avant est faite pour amener les internautes à les généraliser.

Biais de négativité
Phénomène qui fait que les individus sont davantage marqués par les expériences négatives que par les positives, qu'ils prennent davantage en compte les informations négatives que les positives.
Ici : la stratégie de la propagande joue sur la peur en mettant en avant des informations très majoritairement négatives.

Perception sélective
Tendance à interpréter de manière sélective ce que l'on observe ou entend, en fonction de notre propre expérience, de nos centres d'intérêt, de notre situation sociale, de nos valeurs.
Ici : l'argumentation contraire n'a quasiment aucune place ni aucune prise et l'information "officielle" est discréditée.

Effet de simple exposition
Phénomène qui fait que la probabilité d'avoir un sentiment positif envers quelqu'un ou quelque chose augmente par l'exposition répétée à cette personne ou à cet objet.
Ici : l'effet de masse produit par les sites de réinformation qui se reprennent les uns les autres les mêmes informations.

Illusion de savoir
Biais de jugement conduisant un individu, face à une situation en apparence identique à une situation commune, à réagir de façon habituelle, sans éprouver le besoin de rechercher les informations complémentaires qui auraient pu mettre en évidence une différence par rapport à la situation commune.
Ici : le contexte des faits divers est minimisé ou éludé, la complexité des situations, quelles qu'elles soient, est passée sous silence.


Si la bonne foi des journalistes professionnels des médias traditionnels n'est, en règle générale, pas à remettre en cause, le système médiatique n'est pas exempt de critiques. Hormis quelques rares exceptions, tous les médias appartiennent à de grands groupes, ce qui engendre une connivence avec les milieux économiques et nuit à leur indépendance. En outre, le besoin de recettes publicitaires conduit à une sélection de l'information orientée vers la recherche à tout prix d'un maximum d'audience. Il n'est donc pas illégitime que des citoyens tentent de développer une information alternative.

La réinformation, façon fachosphère, c'est autre chose. Les partisans de la mouvance d'extrême droite exploitent les défauts des médias classiques sans le moindre discernement, avec outrance et non sans succès. La démocratie semble bien démunie ou atone pour faire face à ces nouvelles formes de propagande qui paraissent terriblement efficaces. Il faut réagir pour éviter qu'un matin on ouvre ses volets en disant : "Tiens, aujourd'hui le ciel s'est paré d'une étrange couleur bleu marine rehaussée de brun".


Pierre Tourev, 31/01/2017



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