Du placebo à l'opium du peuple
Pseudo-sciences, médecines parallèles, religions, concerts, rencontres sportives, etc.
Pourquoi les pseudo-sciences et les médecines parallèles (ou médecines non conventionnelles) rencontrent-elles autant de succès ? Pourquoi les prières et les rites religieux apaisent-il ? Pourquoi les spectateurs ressentent-il autant de plaisir en assistant au concert d'une star ou d'un groupe musical ? Quels plaisirs recherchent et trouvent les supporters d'une équipe lors d'une rencontre sportive ?
Au hasard de lectures d'ouvrages sur l'effet placebo [Sources], une réponse m'est apparue évidente : l'effet placebo optimisé me semble fournir des explications plausibles à tous ces phénomènes, sans faire appel à quoi que ce soit de magique ou de surnaturel.
Evolution de l'état de santé d'un patient
Pour comprendre ce qu'est l'effet placebo optimisé, il faut partir de l'approche médicale pour décrire ce qui agit sur l'état d'un patient. Les facteurs qui interviennent dans l'évolution de son état de santé peuvent être regroupés en trois grandes catégories [1] :
- L'évolution naturelle de l'affection.
Exemples : la fin d'une grippe, la cicatrisation d'une plaie, la disparition d'un hématome, etc.
- L'effet biologique spécifique du traitement.
C'est l'action du traitement, tel qu'il a été conçu, sur les causes de l'affection.
Exemples : les antibiotiques, les anti-inflammatoires, les rayons X, la chirurgie, etc.
- Les effets non spécifiques ou effets psycho-physiologiques [2] qui apparaissent avec :
- un placebo,
- un médicament ou un acte médical qui n'agit pas directement ou spécifiquement sur l'affection,
Exemples : la vitamine C ou le magnésium donnés en l'absence de carence de ces substances.
- un acte pseudo médical.
Exemple : la médecine non conventionnelle.
- Un contexte particulier.
L'effet non spécifique est celui qui nous intéresse ici, car il n'intervient pas dans le seul domaine médical, mais dans beaucoup d'autres circonstances de la vie.
Le sujet / l'intervenant / le procédé
Un acte médical peut être décrit avec ses trois composantes que sont le patient, le soignant et le traitement. Si l'on élargit notre approche au-delà du champ médical aux pseudo-sciences, aux religions, aux concerts, aux rencontres sportives, etc.[3], ces trois composantes doivent être renommées. Je propose d'utiliser les termes suivants :
- le sujet [4], c'est-à-dire le patient, le malade, le client, le fidèle, le fan, le supporter, etc.
- l'intervenant et son éventuelle équipe.
Exemples : le guérisseur, l'astrologue, le gourou, le prêtre, la star, le groupe musical, l'équipe de football, etc.
- le procédé qui désigne l'ensemble des pratiques et des composantes contextuelles mises en ouvre.
Exemples : la séance de spiritisme, l'homéopathie, les croyances et les rites religieux, les concerts, les matchs de football et tout ce qui les entoure, etc.
Au niveau du patient / sujet, de nombreuses études ont montré que les effets non spécifiques sont la conséquence de [5] :
- l'attente : l'espoir de guérir, de se sentir mieux, de se sentir protégé, de ressentir des émotions positives, etc. C'est l'un des principaux facteurs psychologiques qui intervient dans les effets non spécifiques.
- la répétition du geste thérapeutique, le rituel des séances, les rites sectaires ou religieux, les chansons que l'on connaît, le cérémonial et le protocole des rencontres sportives, et le conditionnement que cela entraine.
Au niveau du soignant / intervenant, les effets non spécifiques sont liés à :
- l'écoute active du patient / sujet et la nature des relations qui s'instaurent,
- l'empathie qui est manifestée et l'attitude envers le patient / sujet,
- le temps qui lui est consacré,
- l'annonce : les mots choisis, le caractère rassurant du discours tenu par le soignant [6] / intervenant,
- son pouvoir de suggestion et de persuasion,
- sa personnalité, son passé, son charisme,
- etc.
Au niveau du traitement / procédé, de nombreux facteurs peuvent générer des effets non spécifiques :
- La forme du médicament ou du produit : la couleur, la taille, la quantité, le nom, le goût, l'étiquette, l'ancienneté.
Il a été prouvé, par exemple, que certaines couleurs de médicaments provoquent des réactions spécifiques (Bleu : effets calmants et tranquillisants ; rouge, rose ou jaune : effets excitants et stimulants ; Blanc : effets analgésiques ; etc.) [7]
- La façon d'appliquer le placebo : L'injection est plus efficace que la pommade qui, elle-même, est plus efficace que la voie orale. [8]
- La complexité du traitement : plus le traitement est complexe, plus les effets non spécifiques bénéfiques sont importants.
- Le rituel [9] : il a une caractère apaisant.
- Le lieu des soins : un bâtiment neuf et moderne est plus engageant qu'un vieux bâtiment défraichi.
- Le coût. Le fait de payer un traitement plus cher renforce son efficacité, indépendamment de son efficacité intrinsèque. [10] C'est sans doute la conséquence du fait qu'il n'est pas facile d'admettre que l'on s'est trompé dans une dépense.
- L'environnement. Plus le patient est impressionné plus l'effet placebo est puissant : des appareils au design moderne, des effets de lumière, de la fumée, des chants, des danses, de discours de tribuns, etc.
"La façon de donner vaut mieux que ce que l'on donne."
Proverbe tiré du Menteur de Pierre Corneille (Acte 1 - Scène)
La mise en oeuvre de tout ou partie de ces différents facteurs renforce l'effet spécifique d'une pratique pseudo-scientifique ou d'une médecine parallèle. Leur assemblage judicieux permet une optimisation de l'effet placebo, au sens large, que l'on pourrait appeler "effet placebo optimisé".
Qu'est-ce qui provoque un effet placebo ou des effets non spécifiques ?
L'effet placebo et plus largement tous les effets non spécifiques peuvent s'expliquer par des facteurs psychologiques, mais aussi par des effets physiologiques [11].
Dans les effets psychologiques, on trouve notamment l'attente de résultats de la part du sujet, l'autosuggestion, la relation entre l'intervenant et le sujet, la suggestion [12] que peut provoquer l'intervenant, le conditionnement du sujet, le caractère apaisant des rites, etc.
En ce qui concerne les effets physiologiques, différentes études ont montré leur réalité, la première étant l'expérience de 1978 de John Levin avec la Naloxone [13] :
- De l'endorphine peut être libérée dans le cerveau par l'attente d'un effet positif annoncé [14]. Les endorphines, ou hormones du bonheur, sont sécrétées par le cerveau et procurent une sensation de bien-être et de plaisir, comme les opiacés, et en particulier la morphine.
- La prise d'un placebo peut provoquer l'activation du système dopaminergique. La dopamine est un neurotransmetteur qui permet la communication au sein du système nerveux et qui influe directement sur le comportement [15].
- Il y a aussi des effets neurobiologiques touchant l'enzyme nécessaire à la production de sérotonine [16]. La sérotonine est une hormone, dite hormone du bonheur, et un neurotransmetteur qui est impliqué dans la régulation de fonctions telles que : thermorégulation, comportements alimentaires et sexuels, cycle veille-sommeil, douleur, humeur, anxiété ou contrôle moteur [17].
Les médecines parallèles face aux autorités sanitaires
Les médecines parallèles sont des médecines alternatives, non conventionnelles, holistiques [18] ou naturelles. Elles s'opposent à la médecine classique, dite allopathique. Elles ne sont pas fondées sur une méthode expérimentale et reposent souvent sur des traditions empiriques. On peut citer par exemples : l'acupuncture, la chiropraxie, les Fleurs de Bach, l'homéopathie, la naturopathie, l'ostéopathie, la sophrologie, etc.
Les médecines parallèles s'appuient involontairement ou en toutes connaissances de causes sur les effets non spécifiques qu'entraine le triptyque patient / soignant / traitement que l'on vu précédemment. Elles sont parvenues à maximiser [19] les effets non spécifiques pour accompagner les théories sous-jacentes censées expliquer les effets bénéfiques apportés aux patients.
Face à ces médecines parallèles, la médecine classique et les autorités sanitaires ont de plus en plus tendance à raisonner en terme d'efficacité statistique (Evidence based medecine [20]). Ce qui compte, c'est le bénéfice qu'en retire le patient. Les médecines parallèles sont considérées comme légitimes si elles ne sont pas dangereuses pour le patient, notamment en ne le détournant pas des traitements allopathiques.
Pour la médecine classique, compte tenu de l'existence démontrée et mesurée d'effet placebo et plus largement d'effets non spécifiques, le soulagement ou l'éventuelle guérison du patient ne peut servir de preuve pour la théorie qu'il y a derrière chaque médecine parallèle. L'important, c'est le soulagement apporté au patient, l'explication est secondaire. C'est la raison pour laquelle ces médecines parallèles sont tolérées. Elles constituent parfois une porte de sortie honorable pour le médecin "classique" ne disposant que de quinze minutes pour sa consultation, lorsqu'il lui arrive de recommander à ses patients un acupuncteur, un ostéopathe, un sophrologue, etc.
L'opium du peuple
Le parallèle est troublant avec la religion, l'"opium du peuple". Se confesser, prier, se réunir dans des lieux de culte, suivre des rites immémoriaux, y venir avec ses attentes, entendre un discours réconfortant sur les défunts proches, sur l'au-delà, etc., apportent à de nombreux fidèles un réel apaisement ou mieux-être. Peu importe si la doctrine qui sous-tend la religion, l'existence d'un dieu ou de plusieurs dieux, est vraie ou fausse. Ce qui compte, c'est que le fidèle ait eu sa dose d'apaisement, d'endorphine, pour oublier ou supporter sa misérable existence ici-bas.
Les religions évangéliques, issues des différentes formes du protestantisme anglo-saxon, l'ont bien compris. Elles ont modernisé les cérémonies religieuses et y ont introduit tout ce qui peut générer des effets (non spécifiques) bénéfiques aux fidèles, ringardisant ainsi les archaïques rites catholiques et musulmans.
Dans les concerts modernes et les grandes compétitions sportives professionnelles, il n'y a pas de relations individuelles entre un spectateur / patient / sujet et un artiste ou sportif / soignant / intervenant. Il n'y a pas non plus de doctrines ou de croyances comme on en trouve dans les médecines parallèles, les pseudo-sciences ou les religions. En effet, ces doctrines ou croyances ne sont pas nécessaires car ce ne sont pas de prétendus pouvoirs surnaturels, mais bien des effets placebo / non spécifiques qui apportent du bien-être, des moments de bonheur, de joie, de communion ou qui mettent en transe. Les Jeux Olympiques Paris 2024 en ont été un bon exemple. Le bon peuple de France a eu sa dose d'opium pour oublier, le temps d'un été, tout ce qui va mal.
Pierre Tourev, 05/09/2024
Principales sources ou références :
Notes :
- ↑ 1 - Les effets placebo, Alain Autret, L'Harmattan, 2013, p43
- ↑ 2 - L'amélioration de la douleur par effet placebo (ou effet non-spécifique) ne signifie pas que c'était une fausse douleur.
- ↑ 3 - Il existe sans doute bien d'autres situations au cours desquelles ces effets non spécifiques interviennent.
- ↑ 4 - J'aurais pu aussi bien l'appeler "client" plutôt que "sujet".
- ↑ 5 - Les effets placebo, Alain Autret, L'Harmattan, 2013, p25
- ↑ 6 - Exemple : Il y a une différence entre ces deux formulations : "Prenez ce médicament et vous verrez bien le résultat" et "Je vous propose ce traitement que je connais bien. Il est très efficace et donne d'excellents résultats. "
- ↑ 7 - L'effet Placebo, Danielle Facteau, Montréal, éd. de L'Homme, 2005, p. 64-65
- ↑ 8 - Qu'est-ce qui guérit ? L'effet placebo... Sous la direction de Boris Cyrulnik, Ed. Philippe Duval, 2016, p. 84
- ↑ 9 - Les effets placebo, Alain Autret, L'Harmattan, 2013, p46-47
- ↑ 10 - Qu'est-ce qui guérit ? L'effet placebo... Sous la direction de Boris Cyrulnik, Ed. Philippe Duval, 2016, p. 85
- ↑ 11 - Les effets physiologiques touchent le fonctionnement d'un organe, d'un système organique ou tissulaire particulier.
- ↑ 12 - L'effet placebo...: les travaux de F. Benedetti, implications pour la relation patient-acteur de santé. Goslin D., 19 sept 2016, p130.
- ↑ 13 - Qu'est-ce qui guérit ? L'effet placebo... Sous la direction de Boris Cyrulnik, Ed. Philippe Duval, 2016, p. 75
- ↑ 14 - Les effets placebo, Alain Autret, L'Harmattan, 2013, p30-31
- ↑ 15 - Les effets placebo, Alain Autret, L'Harmattan, 2013, p33. Cette libération de dopamine dans le noyau accumbens (partie du cerveau) a été montrée par PET-scan chez des personnes ayant reçu un placebo supposé antalgique.
- ↑ 16 - Wikipedia, L'effet placebo / Mécanismes neurobiologiques
- ↑ 17 - "En neurosciences, le contrôle moteur est la capacité de faire des ajustements posturaux dynamiques et de diriger le corps et les membres dans le but de faire un mouvement déterminé." (Wikipedia - Article Contrôle moteur)
- ↑ 18 - Une thérapie holistique est une médecine qui prend en compte le patient dans sa globalité, c'est-à-dire aussi bien le corps que l'esprit, et non pas symptôme par symptôme.
- ↑ 19 - Qu'est-ce qui guérit ? L'effet placebo... Sous la direction de Boris Cyrulnik, Ed. Philippe Duval, 2016, p. 110-111
- ↑ 20 - Qu'est-ce qui guérit ? L'effet placebo... Sous la direction de Boris Cyrulnik, Ed. Philippe Duval, 2016, p. 58
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